Actualité de l'association "Les Vignes d'Abel", vignoble associatif, patrimoine végétal et historique.
8 Novembre 2022
Dans un post de septembre, nous évoquions nos cépages, et en particulier celui qui résistait encore à l'identification sur photos. Nous avons donc fait appel à l'analyse ADN pour faire la lumière sur ce point, et le résultat est arrivé.
Pour cela nous avons fait appel à l'Institut Français de la Vigne et du Vin à Montpellier. Vers le 20 octobre 2022, nous avons prélevé des échantillons sur ces plans inconnus (feuilles, morceau de sarment vert, vrilles...) et tout cela est parti par courrier spécial à Montpellier. Le transporteur spécial (Chronopost) s'est avéré peu utile, le courrier a mis 8 jours pour arriver! Mais heureusement pour nous, les échantillons étaient encore utilisables.
La réponse est donc arrivée. Il s'agit d'un hybride de la fin du 19e siècle, dû à M. Henri LACOSTE du Domaine de Campastié dans le Lot; ce cépage hybride porte son nom : le LACOSTE.
Pour être plus précis, il s'agit de ce qu'on appelle un hybride interspécifique entre les variétés VITIS VINIFERA (VINIFERA LINNE) et VITIS RUPESTRIS (SCHEELE).
Une publicité pour la vente de plans dans la Revue de viticulture : organe de l'agriculture des régions viticoles le décrivait ainsi:
AUXERROIS - RUPESTRIS-LACOSTE Producteur direct.
— 14 ans de succès.
— Très résistant au Phylloxéra, au Mildiou et au Black Rot sans traitement.
— Supporte 68 % de calcaire.
— Les pieds de 3 ans portent de 100 à 200 beaux raisins.
— Rendement normal de la vendange sans pressurage, 66 %.
— Vin français de qualité, 12 degrés, belle couleur, goût de Cot ou Auxerrois. Trois fois hors concours.
— Médaille d'argent grand modèle de la Société Française d'Ampélographie.
— Grand Diplôme d'Honneur pour le VIN au Congrès ampélographique...
Après quelques recherches ampélographiques, il semble que ce cépage n'est pas mauvais, qu'il a donné dans le passé des vins de table honorables, qu'il est en effet assez résistant aux maladies usuelles (mais cela dépend des régions), mais qu'il supporte mal la sécheresse... ce qui pourrait bien expliquer la piètre qualité de la récolte de cette année 2022.
À nous de lui rendre sa place... dans nos verres d'ici quelques années!
[vous trouverez ci-dessous un extrait d'un article paru à son sujet en 1898 dans la revue de viticulture.]
Extrait de l'article : Les producteurs directs en 1898 par Joseph Roy-Chevrier (1860-1949).
Pour l'Auxerrois x Rupestris, nous nous trouvons en présence de boutures multiples reçues, à peu près à la mème époque, de la main d'un ampélographe anonyme aussi modeste qu'habile hybrideur.
C'est au concours d'Agen de 1896 que cet hybride, inconnu jusqu'alors, fil son entrée dans le monde, présenté par M. Salles, pharmacien à Puy-l'Evèque,au nom de son propriétaire, M. Lacoste.
M. de Malafosse, toujours à l'affut des nouveautés ampélographiques,fut frappé de ses qualités et le signala dans la Chronique agricole du Messager de Toulouse du 20 octobre 1896. D'accord avec M.Coudere, il estimait qu'on se trouvait en présence d'un Rupestris-Metallica hybridé par un Vinifera inconnu,
Dans le voisinage de M. Lacoste, un autre viticulteur, N. Pardes, annonçait lui aussi, qu'il possédait un plant inédit et remarquable.
Le Progrès agricole, par une heureuse coincidence, donna, dans son numéro du 17 janvier 1897, la description simultanée de l'Hybride Lacoste par M. de Malafosse, et celle de l'Hybride Pardes par M. de Bouttes. Il n'était pas malaisé à un professionnel de conclure de la similitude des caractères indiqués qu'on se trouvait en présence d'un seul et même cépage.
M. Marius Dumas émit cette opinion qui suscita des tempètes.
D'ailleurs, chaque père nourricier tenait mordicus à son moutard et voulait imposer son nom à celui de son rival.
L'affaire s'envenimant, on alla devant les juges, et le tribunal de Cahors, éclairé par une savante expertise faite par MM. de Malafosse, de Bouttes et Daymard, décida qu'il n'y avait bien qu'un plant, mais deux propriétaires. On peut donc dire indifféremment Hybride Pardes ou Hybride Lacoste. Mais en somme, de peur d'embrouiller l'ampélographie hybridale, déjà si touffue et si confuse,
mieux vaut accepter purement et simplement le nom impersonnel proposé par M. de Bouttes et par lequel nous avons débuté : Auxerrois X Rupestris.
Pourquoi Auxerrois x Rupestris? Mon Dieu! le vin de cet hybride n'est pas sans rapport avec celui de l'Auxerrois du Lot, et sa feuille sans analogie avec celle de ce Vinifera.
Le Cot ou Malbec est un excellent cépage, aussi fertile et aussi répandu que le Gamay. Si on l'appelle Auzerrois à Cahors, on le nomme, par une aimable réciprocité, Plant de Cahors à Auxerre. Les ampélographes sont vraiment gens bien polis, mais bien compliqués.
L'Auxerrois x Rupestris est d'une résistance phylloxérique encore peu connue.Ses détenteurs la donnent comme excellente, supérieure à celle du Rupestris du Lot. Je souhaite bien sincèrement qu'ils ne s'illusionnent pas sur ce chapitre délicat.
Sa résistance cryptogamique est plus certaine et mieux précisée. A peine effleuré par l'Anthracnose au bord des ruisseaux, il se défend aisément contre le Mildiou et le Black Rot dans les foyers les plus intenses du Lot-et-Garonne. Dans le Black Rotou du Lot, sa patrie adoptive, on ne se donne même pas la peine de le sulfater. Il n'est cependant pas réfractaire au Black Rot, comme on l'a fait dire dans la Revue de Viticulture, à un distingué délégué général: loin de là, c'est même chez lui qu'il est le plus atteint et qu'un sulfatage a été obligatoire, cette année, pour sauver la récolte; un pied témoin, laissé sans cuivre, est en ce moment en assez piteux état.
Sa résistance très réelle au Black Rot diminue proportionnellement à l'âge et à l'intensité consécutive des foyers, de telle sorte que, absolue en foyer naissant, elle peut devenir tout à fait insuffisante en vieux foyer et nécessiter alors un ou deux sulfatages de secours.
En Bourgogne et dans l'Isère, il est atteint par l'Oïdium, tandis que dans le Lot il semble réfractaire à cette maladie.
Sa fertilité est considérable, plusieurs centaines de grappes par pied, suivant la taille. De maturité synchrone du Gamay, son raisin, cylindrique, un peu éclairci par un léger millerand, de grains moyens, à jus incolore de saveur sucrée, est mangeable - ce qui n'est pas un mince éloge pour un raisin de producteur direct.
Son vin, présenté au Concours Général de Paris, y a été remarqué par des amateurs très compétents et jugé bon ordinaire. Il est normal, coloré, sans excès d'extrait sec.
Ce cépage n'est pas le premier venu : il a de la race. On le dirait volé par des bohémiens sur les marches d'un trône. Quel dommage que, dans notre région, il redoute l'Oïdium et le Mildiou! Sans quoi, il eût réalisé le type rêvé du plant des pauvres gens, du cépage à production abondante et commode de bon vin sans drogues.
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Responsable de la publication : Patrice Simard